Sous la loupe – Nippon
Une révolution économique, cela ne se fait pas très rapidement, quand bien même elle aurait lieu à l’autre bout du monde. Et pourtant, au Japon, la révolution industrielle mise en place durant la période Meiji s’est faite de manière incroyablement rapide, avec l’aide des Zaibatsu, de grands conglomérats émergeants sur lesquels reposait l’économie du pays. Et évidemment, vous allez jouer le rôle de l’un de ces Zaibatsu, afin de tirer un maximum de profits et donc de prestige de cette révolution industrielle pour remporter la victoire. Passionnant, non ?
Nippon est le dernier jeu édité par What’s Your Game, qui s’impose petit à petit comme mon éditeur fétiche, après les sorties de ZhanGuo, Signorie, Vinhos ou encore Madeira. D’ailleurs, ce sont les mêmes auteurs que ce dernier qui ont commis Nippon, à savoir Paulo Soledade et Nuno Bizarro Sentiero. Si vous connaissez Madeira, vous ne serez pas surpris d’apprendre que Nippon est un jeu exigent mais extrêmement bien ficelé, jouable de 2 à 4 joueurs pour une durée de partie d’environ 30mn par joueur. Le jeu est une nouvelle fois illustré par Mariano Iannelli à qui l’on doit l’intégralité des illustrations des jeux de la gamme What’s Your Game. Ce qui n’est pas surprenant lorsque l’on sait que la maison d’édition lui appartient ! Certains peuvent s’en émouvoir et considérer que l’ensemble de la gamme se ressemble, et on ne pourra pas leur donner tort, mais cela donne aussi un certain style aux jeux, donnant le sentiment au joueur d’arriver en terrain connu.
Le jeu
Dans Nippon, chaque joueur contrôle un Zaibatsu et va devoir construire des usines afin de produire les ressources réclamées par les villes japonaises et actuellement fournies par les importations étrangères.
En début de partie, chaque joueur un plateau de jeu personnel, 2 cubes de charbon et 15 000 yen, ainsi qu’une capacité de production de charbon de 2, un niveau économique de 12 et un niveau de connaissance technologique minimum, de 1. Ces 3 dernières caractéristiques sont indiquées par des échelles sur le plateau personnel de chaque joueur et peuvent être modulées en cours de partie, en fonction des stratégies de chacun. Un joueur reçoit également en début de partie 6 jetons Trains et 6 jetons Bâteaux, placés sur le plateau personnel.
Une fois que chaque joueur est prêt à débuter la partie, on place sur les 8 villes du plateau de jeu principal une tuile de demandes, ainsi que 3 ouvriers tirées du sac sur chaque ligne d’ouvriers du plateau. Ces tuiles représentent les demandes de la population en divers objets (bento, ampoules, soie, papier, loupes, montres) ainsi que l’influence des entreprises étrangères sur ces diverses demandes. Ce placement initial est primordial pour la suite de la partie, les joueurs ne doivent pas prendre cette étape à la légère, sous peine de le regretter plus tard dans la partie. En effet, chaque bien indiqué ci-dessus est produit par une usine de niveau 1,2 ou 3 qui permet d’installer plus tard son influence sur une région donnée, sauf que les usines de niveau 1 ne peuvent assurer à leur propriétaire qu’une influence maximale de valeur 3. Ce qui peut poser problème lorsque l’influence extérieure sur un tel objet est déjà de valeur 3. Bref, un premier problème à prendre en considération pour développer sa stratégie.
D’ailleurs, comment installer une stratégie dans Nippon ? Que pouvons-nous faire ?
À son tour, le joueur actif devra choisir entre 2 actions :
- Retirer un ouvrier d’une case Action et procéder à l’une des deux actions disponibles sur cette case,
- Procéder à une Consolidation de son Zaibatsu.
Nippon est un jeu d’une grande richesse stratégique et d’une grande profondeur, et ce alors qu’il ne propose au joueur qu’un choix entre 2 actions à son tour.. ou pas.
- Retirer un ouvrier d’une case Action et procéder à l’une des actions correspondante.
Lorsqu’un joueur souhaite procéder à une action particulière, il choisit un ouvrier présent sur cette action et le place sur son plateau personnel. La couleur de l’ouvrier (bleu, jaune, noir, rouge, rose ou rouge) n’influe pas sur l’action à effectuer mais aura une incidence lors de l’action de Consolidation.
Les actions disponibles sont les suivantes :
a. Connaissance / Mines : en choisissant l’une de ces actions, le joueur augmente son niveau de connaissances techniques ou d’extraction de charbon, sur les pistes correspondantes de son plateau personnel.
b. Bateaux / Trains : Le joueur achète des trains ou des bâteaux à placer dans des régions du plateau pour augmenter son niveau d’influence (Trains) ou la collecte des PV lors des décomptes (Bateaux).
c. Investir : L’une des premières actions du jeu. Le joueur achète une usine disponible parmi les 6 types de biens produits (4 usines pour chaque bien, ayant tous des bonus différents), en faisant attention de s’équiper d’une usine correspondant à son niveau de Connaissance (de 2 à 4). Les meilleures usines permettent d’obtenir une grosse influence mais coutent chères en Connaissance. Il faudra donc faire des choix.
d. Produire : En consommant un nombre de cubes de charbon variable selon les usines (de 2 à 4 cubes) depuis son plateau personnel, le joueur produit des biens sur 1 à 3 usines de son choix. Chaque usine permet de stocker jusqu’à 4 biens.
e. Machinerie : Le joueur peut équiper ses usines de Machines plus efficaces pour augmenter le niveau de production de ces dernières. En payant de 5000 à 15000 yen, le joueur équipe de 1 à 3 usines de nouvelles machines augmentant la production de ces usines de 1 bien. Il est même possible, grâce à cette même action, d’augmenter le niveau de production de ces machines afin qu’elles augmentent la production de 2 biens lors de l’action de Production. Mais à quoi peuvent bien servir tous ces biens, une fois produits ?
f. Export : En début de partie, les joueurs reçoivent 8 tuiles Contrats (identiques pour chaque joueur) représentant les demandes en biens à exporter. Ces tuiles indiquent le nombre de biens (valeur des cubes blancs) demandés, le nombre de types de biens réclamés (combien de cubes blancs sont représentés sur la tuile) et la récompense pour la résolution du ou des contrats. Ces récompenses peuvent être des points de victoire, de l’argent et/ou une augmentation de niveau sur la piste Monnaie de son plateau personnel.
g. Marché local : Il s’agit de l’autre action centrale du jeu. Comme aime à le présenter son auteur, Nippon est avant tout un jeu de majorité. Pour gagner des points de victoire lors des 3 décomptes du jeu, il vous faudra avoir une forte influence sur les différentes régions de l’ile, au nombre de 4. Et pour avoir de l’influence, il faut pouvoir donner aux habitants les biens qu’ils réclament. Pour cela, le joueur devra placer ses tuiles Influence sur le plateau de jeu en répondant aux demandes. Le nombre de biens donné aux habitants, en fonction du niveau de l’usine, donne au joueur la possibilité de placer une tuile Influence de plus ou moins forte valeur. Et pour placer une telle tuile, il faut que la tuile à poser soit strictement plus élevée que la tuile déjà posée, si tel est le cas.
Concrètement, donner un Bien d’une usine de niveau 1, 2 ou 3 permet de placer une tuile Influence de valeur 1, 3 ou 5 sur la case Ville du bien correspondant, tandis que donner 3 Biens d’une usine de niveau 1, 2 ou 3 permet de placer une tuile Influence de valeur 3, 5 ou 7 sur la case Ville du bien correspondant. Il est possible de diviser les cubes parmi des tuiles Influence de valeurs différentes (une tuile 7 ou deux tuiles de valeurs 3 et 4, à placer dans une même région). Le fait de placer une tuile Influence permet en outre de gagner le bonus correspondant à la région (du charbon, de l’argent, des PV ou des Plans).
Lors de chaque décompte, les joueurs calculent leur influence totale sur chaque région en additionnant la valeur des tuiles Influence à leur couleur sur cette région ( plus les Trains potentiellement positionnés sur cette région) et gagnent les PV indiqués sur le tableau de décompte en fonction de leur rang. Par exemple, lors du premier décompte, le joueur ayant le plus d’influence dans une région gagne immédiatement 10PV, tandis que le second en récolte 7 et le troisième en récolte 5. En plus, si le premier ou le second joueur possède des bateaux sur cette région, il gagne en prime les PV indiqués sur ces bateaux.
Le second et le troisième décompte fonctionnent de la même façon, le nombre de points de victoire à glaner augmentant de manière exponentielle (15/11/8 lors du second décompte, 20/15/11 lors du dernier décompte). On remarque que le quatrième joueur, s’il y en a un autour de la table, ne marque aucun point sur les décomptes. Quand on sait qu’il y a 4 régions sur l’ile, les points récoltés lors des décomptes valent très cher.
Mais ces décomptes, quand arrivent-ils exactement ? Ils se déclenchent lorsque le pion de manche dépasse le marqueur Décompte sur la piste de manches (aux manches 3, 5 et 9). Lorsqu’une case Action n’a plus d’ouvriers disponible, on place les 3 ouvriers présents dans la Piste Ouvriers du plateau de jeu sur cette case. S’il n’y a plus d’Ouvriers dans cette colonne d’Ouvriers en attente, on déplace le marqueur de manche d’une case, on complète les cases d’Action pour qu’elles contiennent toutes 3 ouvriers, et on remplit la colonne d’Ouvriers en attente (selon le nombre de joueurs) avec les Ouvriers du sac.
Lorsque le pion de manche atteint les cases Or, chaque joueur joue 3 tours et la partie s’arrête suite au 3e décompte.

Piste de manches et décomptes
2. Consolider
Lorsqu’un joueur ne peut plus recruter d’ouvrier (car il n’y a plus de place sur son plateau personnel après avoir recruté 6 ouvriers) ou qu’il ne le souhaite plus, il doit effectuer une phase de Consolidation.
Pour cela, il défausse les cubes de Charbon restants sur son plateau de jeu, ainsi que les yen non-dépensés. Il gagne ensuite autant de cubes de charbon qu’indiqué sur sa piste Charbon, et autant de Yen que sa piste Monnaie.
Ensuite, s’il avait recruté au moins 3 ouvriers, il récolte une récompense de l’Empereur (2 plans, 2 Charbon ou 5000 Yen) si cette dernière est encore disponible. Il peut choisir une récompense de valeur inférieure à son niveau de recrutement. Ces récompenses permettent de gagner des ressources pour le reste de la partie, mais servent surtout de bonus multiplicateurs pour le décompte final (voir plus loin).
Une fois tout ceci effectué, le joueur ayant consolidé doit en outre payer les salaires des ouvriers recrutés. Et c’est là que la couleur des ouvriers prend son importance. En effet, pour chaque couleur d’ouvrier recruté, il devra payer la somme de 3000 Yen, les salaires pouvant donc aller de 3000 yen (1 seule couleur) à 18000 Yen (6 couleurs différentes). Sachant que les salaires sont payés grâce à l’argent accumulé via la piste Monnaie, et que cet argent est indispensable pour utiliser certaines actions (Trains, Bateaux, Machinerie, Investissement, Connaissance, Charbon). Bref, il va falloir optimiser au maximum ! En cas d’impossibilité de paiement, chaque couleur non-payée coûtera au joueur 2 PV.
Décompte de fin de partie :
A la fin de la partie, lorsque les 3 derniers tours s’achèvent, chaque joueur additionne les PV :
- obtenus au cours de la partie via les 2 premiers décomptes et autres gains
- obtenus lors du 3e décompte
- obtenus grâce aux Accomplissements.
Au cours de la partie, lors de la phase de Consolidation, les joueurs obtiennent ou non des récompenses de la part de l’Empereur. Ces tuiles présentent au dos des multiplicateurs qui devront être placés, lors de leur acquisition, sur une case de son plateau personnel. En effet, à la fin de la partie, chaque case Accomplissement du plateau personnel de chaque joueur délivrera, ou non, des points de victoire supplémentaires. Et ces points seront multipliés par la valeur de la récompense de l’Empereur placée dessus par le joueur lors de son acquisition. Il faudra donc viser assez tôt les pistes stratégiquement rémunératrices afin d’optimiser le placement de ces récompenses.
Pèle-mêle, il est possible d’obtenir des points de victoire supplémentaire grâce au niveau atteint sur les pistes Connaissances, Monnaie et Charbon, grâce au nombre de Bateaux et Trains achetés, grâce au nombre d’usines de niveau 2 et 3 acquises, ou encore grâce au nombre de paires de Contrats validés ou au nombre de régions sur lesquelles vous avez de l’Influence. Bref, beaucoup de possibilités, et de quoi essayer de nombreuses choses. Sachant que ces Accomplissements peuvent rapporter environ 1/3 des points de fin de partie, il serait dommage de les négliger !
Le joueur possédant le plus de points de victoire (PV) au terme de ce décompte est déclaré vainqueur et aura donc la lourde tache de ranger le matériel pléthorique de cette nouvelle perle ludique portugaise.
Le matériel
Pour les habitués des jeux signés What’s Your Game, pas de surprises. On est face à du standard, c’est à dire de la très bonne qualité. Le matériel est d’excellente facture, le jeu est clair et l’iconographie très lisible, même si l’aide de jeu fournie est assez abstraite lors d’une première partie, car celle-ci n’est pas vraiment une aide de jeu mais uniquement un rappel des bonus de chacune des 24 usines présentes dans le jeu.
Concernant les illustrations, comme toujours, on est face à du très connu chez What’s Your Game. On aime ou ou n’aime pas, mais en ce qui me concerne j’aime la cohérence entre les jeux de la gamme chez cet éditeur. Les jeux se suivent et les plateaux se ressemblent (Madeira, ZhanGuo, Nippon) avec une piste de score sur le contour, une carte au milieu et de multiples tableaux à droite à gauche. La similitude est vraiment grande entre ces 3 jeux, ce qui n’est pas pour me déplaire car ils font tous partie de mes jeux fétiches.
Verdict
J’attendais Nippon comme le messie. C’était LE jeu attendu en cette année 2015. Et force est de constater que l’attente valait le coup. Grand amoureux de Madeira, j’espérais retrouver avec Nippon la même profondeur stratégique et la même complexité. C’est chose faite, et très bien faite. Je dirais même que c’est un sans-faute car avec Nippon, les 2 auteurs ont réussi le tour de force de proposer un jeu complexe avec une mécanique très fluide (ce qui est un peu le défaut de son grand frère) et de nombreuses voies possibles. Le jeu est bien plus accessible que Madeira sans être moins intéressant, bien au contraire. Du coup, il conviendra certainement à un plus grand nombre de joueurs, et c’est tout ce que je peux lui souhaiter. J’ai d’ailleurs participé à la rédaction/relecture des règles officiellement proposées en version française depuis janvier 2016. Vous pouvez les retrouver ci-dessous.
« Le meilleur jeu « expert » de l’année 2015, avec Mombasa. Difficile de lui trouver des défauts tellement le jeu est fluide et les parties tendues. «
De nombreuses photographies de cet article sont l’oeuvre de punkin312 membre de la communauté Boardgamegeek, utilisées avec son aimable autorisation. Je l’en remercie encore ici.
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Merci beaucoup pour cet article que j’attendais avec une certaine impatience !
J’espère qu’il t’aura permis de te faire une idée plus précise de ce jeu, et qu’il t’aura donné envie d’y jouer. Ce jeu mérite vraiment qu’on s’y attarde, un des très bons jeux de 2015 je trouve. Et ce duo d’auteurs a vraiment mes faveurs, du coup j’attends Brasil avec beaucoup d’impatience !